Edition du
20 février 1847
La Gazette Médicale
Archives de la Famille ROQUES
Les 3 Anesthésies

 Récit de 3 anesthésies à l’hôpital de la Pitié.
Témoignage direct d'un étudiant en médecine!
Lettre de Charles CHABAUD à son père
Etienne Chabaud, médecin à Mirepoix, adress
ée le 20 février 1847.

Suite aux travaux du dentiste américain, William Thomas Green MORTON (1819-1868), qui avait remarqué les effets anesthésiants de l'éther sulfurique,
et à sa suite, ceux du médecin britannique John SNOW (1813-1858), qui en 1847 publie "On the Inhalation of the Vapor of Ether",
l’usage de l’éther pour l’anesthésie générale se répand avec un succès sans précédent aux Etats-Unis et en Europe.
(cf http://www.anesthesie-hpe.fr/index.php/histoire-de-l-anesthesie)


Page 1 de la lettre
Page 2 de la lettre
Page 3 de la lettre
Page 4 de la lettre

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Le 20 février 1847
                            Mon cher père

Je suis très étonné de ne pas recevoir de nouvelles
de la caisse que tu m’as annoncée dans ta dernière lettre, et
surtout de ne pas recevoir l’argent que je t’ai demandé
dans ma lettre du 28 janvier dernier, je ne sais comment
expliquer ce retard ; peut-être tes nombreuses occupations
t’ont-elles empêché de me répondre plus tôt. Ecris-moi
courrier par courrier.

   Tu as sans doute entendu parler par les journaux, de
ce nouveau procédé du Docteur Jakson, par lequel, au moyen
de l’inspiration de l’éther sulfurique on parvient à priver
un malade, à qui l’on veut faire subir une opération, de
tout sentiment de douleur.

   Ce phénomène presque incroyable à ceux qui le lisent
pour la première fois, je l’ai vu il y a quelques jours
s’accomplir sous mes yeux à l’hôpital de la Pitié, où
Mr Lisfranc par la recommandation de mon oncle Baudrit,
m’a fait prendre du service. Trois malades dont deux
hommes et une femme ont été opérés par ce chirurgien.

Le premier homme d’une constitution robuste, a été
complètement endormi, enivré au bout de sept minutes, et
quand l’opération a été terminée, et qu’on lui a enlevé
l’appareil à éther sulfurique, il ressemblait à un
homme qui sort de faire un rêve de bonheur, il regardait
les assistants avec des yeux qui exprimaient à la fois un

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contentement mêlé cependant d’un certain regret d’avoir été
privé d’achever un rêve si bien commencé. Ce n’est qu’au
bout de deux ou trois minutes qu’il a eu conscience de
l’opération, alors seulement il a éprouvé le douleur que l’on
ressent toujours à la suite d’une opération quelconque.

Son engourdissement a duré à peu près une demi heure.
Opéré à 10 heures du matin, le mal à la tête qu’il
ressentait n’a cessé que dans la soirée, il a dormi trois heures,
et le lendemain matin la peau était chaude, le pouls
légèrement fébricitant, et son état de prostration paraissait
exister encore. Il est sorti de l’hôpital, huit jours après
l’opération.


Le second atteint d’une fistule à l’anus, homme d’un
tempérament nerveux a été 14 minutes à s’endormir, après
avoir plusieurs fois dérangé l’appareil. Chez lui les
symptômes de l’ivresse étaient tout à fait remarquables,
gaîté, … (?)…, rien n’y manquait. Enfin, on a pu
l’opérer, comme l’autre, il n’a ressenti aucune douleur.
Chez lui la douleur à la tête a été moins intense, a persisté
moins longtemps. Le lendemain il était sans fièvre,
avait dormi selon son habitude, et il demandait à manger.
Il est encore à l’hôpital.


Quant au troisième, c’était une jeune femme
atteinte aussi d’une fistule à l’anus. Trois minutes ont
suffi pour la plonger dans un état convenable à l’opération.

 

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Aucun mouvement ne s’est fait sentir quand on l’opérait, si
ce n’est à la fin un léger trémoussement dans tous les membres.
Lorsqu’elle a été réveillée, on lui a demandé si elle voulait se
laisser faire l’opération, elle a répondu qu’elle le voulait bien, et
quand on lui a appris que c’était déjà terminé, elle a
ressenti une grande joie. Interrogée sur ce qu’elle avait
éprouvé pendant qu’elle était sous l’influence de l’éther, elle
a répondu qu’elle croyait être dans sa maison avec son
mari. Cinq minutes après elle avait une attaque de
nerf, qui a duré une heure et qui était accompagnée de
soubresauts. Etait-ce le résultat de l’opération à laquelle
elle a été soumise, ou bien le résultat de la joie qu’elle
avait si hautement manifestée.  grammatici certant et
adhuc sub judice lis est
. (1) Chez elle le mal à la tête
a persisté jusqu’au lendemain matin, elle n’a pu dormir
de toute la nuit, elle paraissait être toujours dans un état
de frustration, du reste son pouls était régulier.

(1) les grammairiens discutent, et pourtant le procès n'est pas fini (Horace)

 

Voila certainement des résultats qui prouvent en faveur
de cette découverte ; mais avant d’en devenir amoureux,
de s’en engouer, comme l’ont fait certains médecins
à la mode, et comme on le fait toujours du reste pour les
nouvelles découvertes, il faut attendre que l’expérience
l’ait contrôlée de plus grands résultats. Ce peut-être une
très bonne chose et ne pas toujours réussir. Le sulfate
de quinine est certainement bien bon, et cependant on l’a
vu échouer contre de simples fièvres intermittentes.
 

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   Adieu mon cher père, embrasse bien pour moi
ma bonne mère et Aline, dis leur que je les aime
toujours bien. Toute la famille vous en dit autant.
N’oublie pas mon argent, j’ai payé une seconde inscription
et 25 francs que j’ai donnés pour pouvoir disséquer à
Clamart.
 
           Adieu, je t’embrasse de tout cœur,

             ton fils dévoué

             Ch. Chabaud
 
 

   Bien des choses à la famille Marcel, à Mr
   Raynier. Le bonjour à Mariette
 
 
   Paris le 20 février 1847

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