Edition du
22 Avril 1832
La Gazette
Archives de la Famille ROQUES
Epidémie de choléra à Paris

LE CHOLERA EST A PARIS
Témoignage direct d'Elisa Bainville

Lettre adressée à sa sœur Aline CHABAUD née BAINVILLE à Mirepoix, le 22 avril 1832.

Depuis mars 1832, la pandémie de cholera-morbus qui existait depuis plusieurs années ailleurs en Europe est à Paris.

(gravure de Daumier)

La médecine n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, même si la théorie de germes existait depuis 1687, il faudra encore plusieurs décennies pour identifier l'origine et la propagation de la maladie.
D'autres pandémies se reproduiront en France, une importante en1847 et d'autres encore plus tard. Le contenu de cette lettre et le titre du mémoire de 1865 ci-dessous illustre le problème...

 


Page 1 de la lettre
Page 2 de la lettre
Page 3 de la lettre
Page 4 de la lettre

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Paris le 22 Avril 1832
Le choléra est à
Paris
, on compte
vingt mille personnes décédées.


 

Est il vrai ma bonne Aline que tes larmes ne
tarissent pas et que nous soyons la cause qui les
fasse couler. Combien je m’en veux ma chère amie
de te causer autant de peine, mais tu devrais être
plus raisonnable et savoir que souvent le désir
que j’éprouve de m’entretenir avec toi est envahi
par mes occupations. Nous sommes surtout pour
le moment tourmentés par les commandes de
devis qui se succèdent depuis 15 jours sans
interruption, c’est aujourd’hui notre seule vente.
 

Paris est un désert et si l’on rencontre quelques
personnes, elles sont mortes ou mourantes ou dans
la désolation. Il n’y a pas de famille qui
ne perde un parent, d’amis un ami, c’est une
consternation générale, la mortalité est répandue
sur tous les points de la capitale. Notre
Fb. St Germain a été un des premiers
quartiers affligés par la maladie nous avons
compté depuis le 26 mars époque où
l’épidémie a commencée 13 malades dans notre
maison, dont 6 ont succombé ; notre concierge
et sa femme se sont suivis dans la tombe
à 8 jours de distance. Des voisins qu’on
voyait sans cesse et très bien portants
y ont succombé et y succombent encore.

 

Tu vois par ce rapport si les journaux
ont exagéré le mal ils ne disent pas
tout dans la crainte d’effrayer, car la
peur a été la cause de bien de maladie,
Mr Delpech mon médecin est sur les dents
 

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Les corbillards ne peuvent plus suffire à
 porter les morts on les porte à bras
comme à la campagne et ceux qu’on voit
chargés le sont jusqu’à 6, 8 dans la même
voiture, on a été jusqu’à prendre les voitures
de déménagement afin d’en mettre davantage,
enfin ma chère Aline si ce fléau ne vous
approche pas , vous devez vous trouver bien
heureux. La révolution de 1830 m’a bien effrayé
mais ce n’est rien en comparaison de la frayeur
que me fait cette horrible maladie malgré
cette tranquillité toi ma bonne Aline nous avons
vu le danger si près que peut-être ne
nous atteindra-t-il pas  et puis il faut
dire que la maladie a quitté un peu notre
quartier et puis aussi on nous dit qu’elle
est moins contagieuse et qu’on peut
y porter remède mieux qu’aux premiers jours
qu'avec de grandes précautions on peut l'éviter
est-ce vrai c’est ce que j’ignore
Charles
dans sa rue a été entouré de victimes, sa
seule maison a été jusqu’à présent épargnée
 et nous n’avons grâce à Dieu personne dans notre
famille qui n’en ait été atteint mais on
est toujours dans une perplexité sans  pareille.

 

 


C’est mourir mille fois que d’attendre la
mort un seul jour on m’apprend à
l’instant que nous avons eu cette nuit 4 morts depuis
la Croix Rouge jusqu’au n° 11, 4 maisons
plus bas que nous tu vois par là si
nous en sommes quitte toutes les dames
partent pour la campagne, les
spectacles sont déserts, dernièrement à
l’opéra on comptait 8 personnes, la toile
s’est levée et baissée aussitôt.

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Dieu veuille ma bonne Aline que cette
lettre ne soit pas la dernière que tu
reçoives de moi, mais dans la peur où nous
sommes on ne peux répondre de rien ; mais mande
moi dans ta première ce que Chabaud
peut de cette cruelle maladie, je crois
toujours en être atteinte la moindre colique
le plus léger malaise il me semble
toujours être prise, je suis toujours en transe
pour mon Jules, pour ma fille, c’est ne
pas exister que de vivre comme cela.

Maman va bien, elle a aussi peur que
moi, et ce n'est pas peu dire elle est
fâchée tu n’as pas encore répondu à sa
lettre. Ma petite Amélie va très bien, elle
a été vaccinée c’est une bien piquante.
Je t’envoie 1 paquet d’aiguilles n°5.

Malgré le choléra Mr Sauvage beau frère
de Jules, veut nous emmener dîner dans
un restaurant, je ne sais s’il viendra, je
l’attends, Jules est sorti lire la Gazette,
je suis seule en attendant ces messieurs,
je te dirai demain ce que je ferai aujourd’hui
jour de Pâques si je ne meurs pas cette
nuit, car alors d’autres finiraient ma lettre... C’est
moi ma bonne petite qui termine ma lettre,
je reçois à l’instant un billet de Jules,
il est allé au devant de Mr Sauvage et
l’a trouvé indisposé, que je ne l’attende pas
pour dîner, je suis seule, je rentre de
Vêpres, je me suis déshabillée rangé
mes effets et je me suis mise à faire
ta lettre. Julia est allée avec Cézarine, qui
est avec nous maintenant, cette dernière
a emmené la petite dîner chez sa cousine ,

 

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elle ne rentreront qu’à 9 heures, il en est six
encore 3 heures à rester seule ce qui ne me plait
pas beaucoup car je crains toujours une attaque du
maudit choléra, mais à 9 heures je me mets
au lit le temps me semble moins long, je vais
écrire à ma nourrice lui annoncer l’arrivée d’effets
pour Amélie, car on parle déjà de la mettre en
robe, elle va avoir 5 mois le 7 du mois prochain,
c’est un demoiselle. Je ne termine pas encore
ma lettre, j’aurai peut-être autre chose à t’apprendre
d’ici à demain. Jules n’est rentré qu’à 10 heures du soir,
il quitte son beau frère qui vient d’être malade.

Je termine ma lettre, la prochaine t’apprendra je
l’espère la disparition du choléra, le médecin de maman
a été presque jusqu’à lui certifier qu’elle n’avait
pas de disposition a être atteinte du choléra et que
ses enfants tenant d’elle par le sang en seraient
préservés
. Dieu veuille qu’il dise vrai. Adieu
ma bonne amie, c’est maintenant plus que jamais
qu’il faut s’aimer et se le dire on ne sait
si on pourra le dire longtemps. Portez vous
bien, ne vous tourmentez pas pour nous au
point de vous rendre malades car ce fléau
s’éloignera peut-être sans nous atteindre et
s’il nous atteignait n’en serions nous  peut-être pas
victimes. Je vous embrasse tout trois mille,
mille et mille fois et vous réitère pour
la millième fois l’assurance de mon amitié
bien sincère. Toute à vous


Elisa Bainville

 Je t’envoie un paquet d’aiguilles n°5
et remercie mon petit Charles de
sa bague mon diable de Julia l’a déjà
cassée.

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Alain Marmion 2013